Page:Bakounine - Œuvres t1.djvu/197

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sans autre excuse que ce mot élastique, à la fois si commode et si terrible : la raison d’État !

Mot vraiment terrible ! car il a corrompu et déshonoré, dans les régions officielles et dans les classes gouvernantes de la société plus de gens que le Christianisme lui-même. Aussitôt qu’il est prononcé, tout se tait et tout cesse : honnêteté, honneur, justice, droit, la pitié elle-même cesse, et avec elle la logique et le bon sens : le noir devient blanc et le blanc noir, l’horrible humain, et les plus lâches félonies, les crimes les plus atroces deviennent des actes méritoires !

Le grand philosophe politique italien, Machiavel, fut le premier qui prononça ce mot, ou qui du moins lui a donné son vrai sens et l’immense popularité dont il jouit encore à cette heure dans le monde de nos gouvernants. Penseur réaliste et positif s’il en fût, il a compris le premier que les grands et puissants États ne pouvaient être fondés et maintenus que par le crime, — par beaucoup de grands crimes et par un mépris radical pour tout ce qui s’appelle honnêteté ! Il l’a écrit, expliqué et prouvé avec une terrible franchise. Et comme l’idée de l’humanité a été parfaitement ignorée de son temps ; comme celle de la fraternité, non humaine, mais religieuse, prêchée par l’église catholique n’a été alors, comme toujours, rien qu’une affreuse ironie, démentie à chaque instant par les propres actes de l’Église ; comme de son