Page:Bakounine - Œuvres t1.djvu/317

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à cette âme, l’homme est un être éminemment antisocial. Et s’il avait été toujours sage, si préoccupé exclusivement de son éternité, il avait eu l’esprit de mépriser tous les biens, toutes les affections et toutes les vanités de cette terre, il ne serait jamais sorti de cet état d’innocence ou d’imbécillité divine et ne se serait jamais formé en société. En un mot Adam et Ève n’auraient jamais goûté du fruit de l’arbre de la science et nous aurions tous vécu comme des bêtes dans ce paradis terrestre que Dieu leur avait assigné pour demeure. Mais du moment que les hommes ont voulu savoir, se civiliser, s’humaniser, penser, parler et jouir des biens matériels, ils ont dû nécessairement sortir de leur solitude et s’organiser en société. Car autant ils sont intérieurement infinis, immortels, libres, autant ils sont extérieurement limités, mortels, faibles et dépendants du monde extérieur.

Considérés au point de vue de leur existence terrestre, c’est-à-dire non fictive mais réelle, la masse des hommes présente un spectacle tellement dégradant, si mélancoliquement pauvre d’initiative, de volonté et d’esprit, qu’il faut être doué vraiment d’une grande capacité de se faire illusion pour trouver en eux une âme immortelle et l’ombre d’un libre arbitre quelconque. Ils se présentent à nous comme des êtres absolument et fatalement déterminés : déterminés avant tout par la nature extérieure, par la configuration du