Page:Bakounine - Œuvres t3.djvu/145

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beaucoup plus indépendants et plus fiers, capables de science et non incapables de liberté, comme les bourgeois de l’Allemagne moderne. Mais avec toutes ces grandes qualités, ils n’étaient rien que des barbares, c’est-à-dire aussi indifférents que les esclaves antiques, dont beaucoup d’ailleurs appartenaient à leur race, à l’égard de toutes les questions de la théologie et de la métaphysique. De sorte qu’une fois leur répugnance pratique |237 rompue, il ne fut pas difficile de les convenir théoriquement au christianisme.

Pendant dix siècles de suite, le christianisme, armé de la toute-puissance de l’Église et de l’État, et sans concurrence aucune de la part de qui que ce fût, put dépraver, abâtardir et fausser l’esprit de l’Europe. Il n’eut point de concurrents, puisqu’en dehors de l’Église il n’y eut point de penseurs, ni même de lettrés. Elle seule pensait, elle seule parlait, écrivait, elle seule enseignait. Si des hérésies s’élevèrent en son sein, elles ne s’attaquèrent jamais qu’aux développements théologiques ou pratiques du dogme fondamental, non à ce dogme même. La croyance en Dieu, esprit pur et créateur du monde, et la croyance en l’immatérialité de l’âme restèrent intactes. Cette double croyance devint la base idéale de toute la civilisation occidentale et orientale de l’Europe, et elle pénétra, elle s’incarna dans toutes les institutions, dans tous les détails de la vie tant publique que privée de toutes les classes aussi bien que des masses.