Page:Bakounine - Œuvres t3.djvu/148

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rés à la taille considérablement amoindrie de la bourgeoisie de notre siècle. En France, ce furent Chateaubriand, Lamartine, et — faut-il le dire ? eh ! pourquoi non ? il faut tout dire, quand c’est vrai — ce fut Victor Hugo lui-même, le démocrate, le républicain, le quasi-socialiste d’aujourd’hui, et à leur suite toute la cohorte mélancolique et sentimentale d’esprits maigres et pâles qui constituèrent, sous la direction de ces maîtres, l’école du romantisme moderne. En Allemagne, ce furent les Schlegel, les Tieck, les Novalis, les Werner, ce fut Schelling, et tant d’autres encore dont les noms ne méritent pas même d’être nommés,

La littérature créée par cette école fut le vrai règne des revenants et des fantômes. Elle ne supportait pas le grand jour, le clair-obscur étant le seul élément où elle pût vivre. Elle ne supportait pas non plus le contact brutal des masses ; c’était la littérature des âmes tendres, délicates, distinguées, aspirant au Ciel, leur patrie, et vivant comme malgré elles sur la terre. Elle avait la politique, les questions du jour, en horreur et en mépris ; mais lorsqu’elle en parlait par hasard, elle se montrait franchement réactionnaire, prenant le parti de l’Église contre l’insolence des libres-penseurs, des rois contre les peuples, et de toutes les aristocraties contre la vile canaille des rues. Au reste, comme je viens de le dire, ce qui dominait dans l’école, c’était une indifférence quasi-complète pour les questions politiques. Au milieu des nuages dans lesquels elle vivait, on ne pouvait dis-