Page:Bakounine - Œuvres t3.djvu/160

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rige d’une main invisible le développement humain. Voulant absolument, dans sa générosité divine, que les hommes, ses créatures et par conséquent, de fait, ses esclaves, soient libres, et comprenant qu’ils ne le seraient pas du tout s’il se mêlait |249 trop souvent et trop ostensiblement de leurs affaires, que sa puissance non seulement les gênerait, mais les anéantirait[1], il ne se manifeste à eux qu’aussi rarement que possible, et que quand cela devient absolument nécessaire à leur salut. Le plus souvent, il les abandonne à leurs propres efforts et au développement de cette double lumière, à la fois divine et humaine, qu’il a allumée dans leurs âmes immortelles : la conscience, source de toute morale, et l’intelligence, source de toute vérité. Mais lorsqu’il voit que cette lumière commence à faiblir, lorsque les hommes fourvoyés, et trop imparfaits pour pouvoir marcher toujours seuls, s’enfoncent dans une situation sans

  1. N’est-ce pas une chose remarquable que, dans toutes les religions, on retrouve cette imagination, qu’aucun mortel ne saurait supporter la vue d’un Dieu dans sa gloire immortelle, sans être anéanti, foudroyé, consumé sur-le-champ ; de sorte que tous les Dieux, compatissant à cette faiblesse humaine, se sont montrés aux hommes toujours sous une forme empruntée quelconque, souvent même sous la forme de quelque bête, mais jamais dans leur véritable splendeur. Jéhovah a montré une seule fois, je ne me rappelle plus à quel prophète, son propre derrière, et produisit en lui par cette démonstration a posteriori un tel dérangement du cerveau, que le pauvre prophète battit la campagne pendant tout le reste de sa vie. Il est évident que dans toutes les religions il y a comme un instinct confus de cette vérité, que l’existence de Dieu est incompatible non seulement avec la liberté, la dignité et la raison humaines, mais avec l’existence même de l’homme et du monde. (Note de Bakounine.)