Page:Bakounine - Œuvres t5.djvu/150

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qui la font vivre du travail de leurs bras, s’ouvre toujours davantage, et que plus les heureux, les exploiteurs du travail populaire, sont heureux, plus les travailleurs deviennent malheureux. Qu’on mette seulement en regard de l’opulence fabuleuse du monde aristocratique, financier, commercial et industriel de l’Angleterre, la situation misérable des ouvriers de ce même pays ; qu’on relise la lettre si naïve et si déchirante écrite tout dernièrement par un intelligent et honnête orfèvre de Londres, Walter Dugan, qui vient de s’empoisonner volontairement avec sa femme et ses six enfants, seulement pour échapper aux humiliations de la misère et aux tortures de la faim[1], et on sera bien forcé d’avouer que cette civilisation tant vantée n’est, au point de vue matériel, rien qu’oppression et ruine pour le peuple.

Il en est de même des progrès modernes de la science et des arts. Ces progressent immenses ! Oui, c’est vrai. Mais plus ils sont immenses, et plus ils deviennent une cause d’esclavage intellectuel, et par conséquent aussi matériel, une cause de misère et d’infériorité pour le peuple ; car ils élargissent toujours davantage l’abîme qui sépare déjà l’intelligence populaire de celle des classes privilégiées. La première, au point de vue de la capacité naturelle, est aujourd’hui évidemment moins blasée, moins usée, moins sophistiquée et moins corrompue par la nécessité de défendre des intérêts injustes, et par

  1. Cette lettre avait été reproduite dans le numéro précédent de l’Égalité.