Page:Bakounine - Œuvres t5.djvu/42

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Il est des esprits sincères, dévoués, qui, tout en déplorant ardemment des maux qu’ils cherchent d’ailleurs à soulager par tous les moyens possibles, n’en estiment pas moins que les changements brusques, immédiats, ne sont pas plus dans l’humanité que dans la nature. Sans doute, l’homme peut quand il veut. Mais il ne veut qu’en raison de ce qu’il est, de sa situation, de ses lumières. Un jugement aveuglé par l’éducation, par les préjugés, n’admet que des modifications nécessaires. Ils sont rares, ceux qui peuvent être subitement éclairés par le choc d’idées contraires.

S’il était facile de transformer les esprits, les transformations sociales aussi seraient faciles, immédiates. Il suffirait de montrer l’intérêt commun, qui est le fond de toute amélioration vraie. Il n’en est pas ainsi. Constater cette vérité, est-ce donc s’en réjouir ? En face des désordres d’une maladie, le médecin est-il coupable d’en prévoir les phases et d’assigner à un terme lointain la guérison ?

Avec moins de passion, on reconnaîtrait qu’au point de vue du progrès social, si les pionniers aventureux sont utiles à l’avenir, les combattants de l’arrière-garde sont les plus utiles dans le présent. Ce sont eux qui rallient et attirent les masses, parce qu’ils s’en font mieux comprendre. — Les progrès qu’ils obtiennent sont faux, insuffisants ? — Non, car ils en provoquent d’autres. — Lenteur fâcheuse ! — Oui, mais que voulez-vous ? l’homme est ainsi fait qu’il doit, pour arriver en un lieu, parcourir successivement tous les points de la distance. Et sa volonté, de même, est ainsi faite que, si vous l’en-