Page:Bakounine - Lettres à Herzen et Ogarev, trad. Stromberg, Perrin, 1896.djvu/126

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gne voir mes frères pendant vingt-quatre heures.

Au mois d’avril, je fus transporté à Tomsk, où je vécus pendant deux ans. Là je fis la connaissance d’une charmante famille, dont le chef, Xavery Wassilievitch Kviatkovski, était attaché à l’administration des mines d’or. Sa famille elle-même était établie à la campagne, la zaïmka d’Astangovo, comme on dit en Sibérie, située à une verste de la ville, et où elle habitait une toute petite maisonnette. J’y allais tous les jours et m’offrit comme professeur de français de me charger de l’enseignement des deux jeunes filles de la maison. Peu à peu, je me liai d’amitié avec celle qui devint ma femme, j’acquis toute sa confiance et je finis par l’aimer avec passion. Elle répondit à mon sentiment et nous nous unîmes. Marié depuis, déjà, deux ans, je suis complètement heureux. Ah ! qu’il est doux de vivre pour les autres, surtout lorsque c’est pour une charmante femme. Je me suis donné entièrement à elle, et de son côté, de cœur et d’esprit, elle partage toutes mes aspirations. Elle est Polonaise d’origine, mais elle n’a pas les idées catholiques de ce pays et partant, elle s’est émancipée du fanatisme politique ; en somme, c’est une patriote slave.

À force de démarches faites à mon insu, M. Gasford, le gouverneur-général de la Sibérie occidentale, obtint l’autorisation impériale de me faire entrer au service de l’administration officielle. Certes, c’eût été le premier pas vers ma libération, mais je ne pus me décider à accepter, — il me semblait qu’en voyant la cocarde officielle à ma casquette, je perdrais de ma pureté révolutionnaire. Je fis des démarches pour solliciter la permission de m’établir dans la Sibérie orientale ; à grand’peine je parvins à l’obtenir. On craignait pour moi les sympathies de Mouravieff, qui