Page:Bakounine - Lettres à Herzen et Ogarev, trad. Stromberg, Perrin, 1896.djvu/201

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que trop nombreuses. Et il est temps de comprendre que nous sommes faits pour la cause et non la cause pour nous. Autrement, nous ne ferions que jouer à la révolution.

C’est à peu près tout ce que j’avais à te dire. Et je n’ai plus à ajouter que ceci : Bakounine, je t’en conjure, fais ton possible pour maîtriser cette agitation fiévreuse, mets plus de suite dans tes actes et ta pensée qui s’envole d’un sujet à l’autre ; dompte la passion qui t’entraîne, jusqu’à te condamner à un travail préparatoire, car à présent, il te serait impossible d’arriver à une explosion. Quant aux réformes foncières de la Russie, tu n’y arriveras point sans une besogne préparatoire, sans prendre part au travail littéraire, ce labeur de la taupe. Pour le moment, jette in’s Blaue hinaus l’oubli de tes tendances révolutionnaires qui n’ont réussi nulle part. Attache-toi à former des hommes, en attendant la vraie révolution — pacifique ou non, — cela dépendra de la force réactionnaire. Je t’en supplie, Bakounine, songe que toutes les erreurs que nous avons déjà commises ont donné naissance à beaucoup de mal et que tu fus toujours en tête. Pense à ce passé tout récent, et si tu es sincère, tu diras que j’ai raison.

Ne te fâches pas contre moi, je t’écris sine ira et studio. Je te parle avec la profonde conviction de la vérité de mes paroles, et ce n’est certes pas par un sentiment d’animosité, mais bien au nom de l’amitié qui nous lie depuis de longues années.

Je regrette sincèrement que tu n’aies pas écrit tes mémoires. Dans le temps ils auraient eu un succès qui aurait fait ta fortune et maintenant ils ne pourront t’apporter que quelques ressources, qui t’aideront à vivre, ce qui n’est pas à dédaigner. Rentre