Page:Bakounine - Lettres à Herzen et Ogarev, trad. Stromberg, Perrin, 1896.djvu/227

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ble et ingrate, de rester à la portée de ton (misérable) chorus, en le devançant toujours d’un pas, et jamais de deux. Ma foi, je ne comprends pas trop ce que veut dire : devancer d’un pas ces admirateurs de Katkoff, de Skariatine, de Mouravieff, ou encore, ces partisans des Milutine, des Samarine, des Aksakoff ? Il me semble que la différence qui existe entre toi et eux n’est pas seulement quantitative, mais qu’elle est aussi qualitative ; qu’il n’y a, et qu’il ne peut y avoir rien de commun entre tes aspirations et les leurs. À part leurs intérêts particuliers et ceux de la classe à laquelle ils appartiennent, dont la puissance irrésistible les entraîne vers le camp opposé au nôtre, et que je laisse de côté, ce sont avant tout des patriotes qui défendent l’État, tandis que toi, tu es un socialiste. C’est donc une conséquence logique pour toi que de te déclarer l’ennemi acharné de tout État, incompatible avec un large et libre développement des intérêts sociaux des peuples. Pour appuyer la force et affermir l’étendue de cet État, eux sont prêts, à part leur propre personne et leurs intérêts personnels, à lui sacrifier tout ! — la justice, le droit, la liberté et le bien-être du peuple, l’humanité elle-même. Toi, qui es un socialiste sincère et dévoué, assurément, tu serais prêt à sacrifier ton bien-être, toute ta fortune, ta vie même, pour contribuer à la destruction de cet État, dont l’existence n’est compatible ni avec la liberté ni avec le bien-être du peuple. Ou alors, tu fais du socialisme d’État et tu es capable de te réconcilier avec ce mensonge le plus vil et le plus redoutable qu’ait engendré notre siècle, — le démocratisme officiel et la bureaucratie rouge ? C’est vrai, cette idée, tu ne l’as jamais nettement formulée ; au contraire, dans tes articles, parfois, on trouve des