Page:Bakounine - Lettres à Herzen et Ogarev, trad. Stromberg, Perrin, 1896.djvu/235

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C’est l’État, cet État moscovite qui a tué dans la nation russe tous ses germes de la civilisation, du progrès et du développement national, que l’on a vu s’épanouir à Novgorod et plus tard à Kieff. Et c’est encore l’État qui les a fait périr lorsque, pour la deuxième fois, ils éclorent dans le raskol et dans les organisations des Cosaques qu’il écrasa. Cet État de Pierre le Grand, qui, vous savez, est basé sur la négation absolue de l’indépendance du peuple et sur la suppression de toute manifestation de la vie populaire, cet État ne peut avoir d’autre lien avec la nation que celui qui existe entre l’oppresseur et l’exploiteur et sa victime, et qui n’est qu’un lien mécanique. Comme le lien intime fait absolument défaut, qu’il n’y a rien de commun entre le peuple et l’État, celui-ci ne peut se transformer en une organisation démocratique. La bureaucratie et le militarisme ne sont pas là accidentellement, tout au contraire ; et tant que l’État existera, chaque année il réclamera au peuple une plus forte somme d’argent et un plus grand nombre de soldats. Mais, comme aucun peuple n’accède volontiers, ni à l’une, ni à l’autre de ces demandes, l’État se voit obligé de l’oppresser de plus en plus et de le ruiner. C’est là pour lui l’unique moyen d’exister, partant, c’est là aussi son unique destination. On peut changer l’étiquette que porte notre État, sa forme, si vous aimez mieux, mais le fond en restera toujours le même.

L’empereur et l’État n’ont rien donné au peuple et ne peuvent faire que du mal. Vous me répliquerez, peut-être, que c’est à la volonté souveraine du tzar que les paysans doivent leur émancipation ? Eh bien, le clou est précisément là ; le fait est qu’ils ne sont nullement émancipés. Je n’ai pas besoin de