Page:Bakounine - Lettres à Herzen et Ogarev, trad. Stromberg, Perrin, 1896.djvu/301

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lisme. Car si tu t’y prenais en ta qualité d’idéaliste, tu commencerais par jeter par la fenêtre tout ce qui tient à ma nature même, si différente de la tienne, si peu conforme à tes points de vue et à tes habitudes ; au bout du compte on aurait un livre de toi au lieu du mien. Mais, en te plaçant au point de vue réaliste, tu te diras : il n’y a rien à faire avec ce vieux, pas possible de le remouler ; « chassez le naturel, il reviendra au galop. » Tu ne chercheras donc qu’à adoucir et à effacer quelque peu les défauts de son naturel. Et tu te diras : « laissons-le bâtir la maison à sa guise, mais comme il n’a pas le sentiment esthétique et ne possède pas la science de l’architecte, c’est moi qui disposerai les fenêtres et les portes. Ça vaudra toujours mieux que s’il se mettait à les percer lui-même ». C’est un travail très ennuyeux, je ne l’ignore pas, mais fais-le quand même ; fais-le par l’habitude que, tous les deux, nous avons contractée depuis de longues années, de marcher ensemble, bien que, parfois, nous agissions séparément ; que souvent, nous nous disputions même, malgré l’estime que nous nous portons. Et cette habitude, contractée, non sur un terrain frivole, mais basée sur des intérêts humains de la plus haute volée, vaut bien l’intimité de l’affection.

Voici de quoi il s’agit. D’abord, tu ne pourras porter aucun jugement sur mon livre, d’après les quelques feuillets du manuscrit que je t’envoie. Mais, prends patience ; dans quelques jours tu en recevras encore une partie ; et lorsque tu te seras fait une idée précise de mon ouvrage, tu me diras ce que tu aurais à y changer au point de vue littéraire et ce que tu pourrais faire matériellement, au point de vue administratif, pour me faciliter cette publication. Ce travail,