Page:Bakounine - Lettres à Herzen et Ogarev, trad. Stromberg, Perrin, 1896.djvu/334

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qu’il appelle le Comité. L’organisation russe, en Russie, ayant été décimée, il s’efforce d’en créer une nouvelle à l’étranger. Tout cela serait parfaitement naturel, légitime, fort utile, — mais la manière dont il s’y prend est détestable. Vivement impressionné par la catastrophe qui vient de détruire l’organisation secrète en Russie, il est arrivé peu à peu à se convaincre, que pour fonder une société sérieuse et indestructible, il faut prendre pour base la politique de Machiavel et adopter pleinement le système des Jésuites, — pour corps la seule violence, pour âme le mensonge.

La vérité, la confiance mutuelle, la solidarité sérieuse et sévère n’existe qu’entre une dizaine d’individus qui forment le sanctus sanctorum de la Société. Tout le reste doit servir comme instrument aveugle et comme matière exploitable aux mains de cette dizaine d’hommes, réellement solidarisés. Il est permis et même ordonné de les tromper, de les compromettre, de les voler et même au besoin de les perdre, — c’est de la chair à conspiration ; par exemple : vous avez reçu N. grâce à notre lettre de recommandation, vous lui avez donné en partie votre confiance, vous l’avez recommandé à vos amis, — entr’autres à M. et Mme M… Le voilà replanté dans votre monde, — que fera-t-il ? Il vous débitera d’abord une foule de mensonges pour augmenter votre sympathie et votre confiance, mais il ne se contentera pas de cela. Les sympathies d’hommes tièdes, qui ne sont dévoués à la cause révolutionnaire qu’en partie et qui, en dehors de cette cause, ont encore d’autres intérêts humains, tels qu’amour, amitié, famille, rapports sociaux, — ces sympathies ne sont pas à ses yeux une base suffisante, et, au nom de la cause, il doit s’emparer de toute votre