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REINE D’ARBIEUX

tant d’autres fois. La tempe dans sa main, elle ferme les yeux, se recueille dans le sentiment qui dilate le fond de son être : elle songe à l’enfant dont sa chair couve le germe caché, à Adrien qui va la comprendre ; à ces livres qu’il lui a laissés. Tout à l’heure, quand Germain, recru de fatigue, ira se coucher, elle allumera la lampe pour lire au jardin. Déjà elle imagine les brises de la nuit, et ce délice d’ouvrir un des volumes qu’il lui a choisis, comme si elle devait y trouver dans sa solitude, dans sa soif obscure, une mystérieuse source de bonheur.

Le jour s’en allait très vite. Germain, qui avait posé sur la nappe la carafe couverte d’une buée glacée, achevait de dîner. Reine lui offrit de peler des fruits. Elle aurait voulu l’apaiser, lui être agréable. Mais il affectait de ne s’occuper que de son chien — un pointer efflanqué, au poil truffé de taches d’un bleu-noir, qu’il avait attaché au pied de sa chaise. Étendu sur le sable, les flancs haletants, et si maigre que ses côtes saillaient sous la peau, il ne se soulevait que pour happer les morceaux de pain que Germain jetait sous la table.

— Non, dit-elle, quand il lui parla de rentrer, la soirée est encore trop chaude, je voudrais respirer un peu.

La lampe qu’elle venait d’allumer éclairait en dessous le dôme feuillu des marronniers, l’allée, un massif. Un papillon de nuit butait au verre, s’éloignait, s’acharnait encore. Une nuit noire ! Sans répondre, Germain était rentré dans la mai-