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REINE D’ARBIEUX

changement d’habitudes dans la vie uniforme de la province a quelque chose de frappant, parce qu’il trahit des dispositions nouvelles et excite l’investi­gation. D’une manière presque inconsciente, Reine en était venue à attendre le passage rapide d’Adrien ; ce n’avait été d’abord qu’un bref plaisir, qui fai­sait ensuite l’ennui plus profond ; puis l’imagination s’en était mêlée, comme si ce garçon obstiné et impénétrable avait trouvé le plus sûr moyen de la déclencher.

Reine se sentait moins seule dans le salon où s’écoulait l’après-midi ; sans qu’elle pût dire pour quelles raisons, elle était sûre qu’Adrien ne l’ou­bliait pas. Elle aurait voulu le revoir. Pendant cet automne, elle s’était nourrie de son chagrin, res­sassant avec un morne acharnement les pensées qui la désolaient. Ah ! si l’on pouvait revenir en arrière ! Ce voyage en auto, elle ne le voulait pas. Que lui importait de fâcher Germain ? Étaient-ce ses colères qui lui faisaient peur ? Et des sen­timents de rancune fermentaient en elle, l’éloi­gnant de son mari dont elle ne voyait plus que la violence, la tyrannie, inconsolable de l’enfant perdu, gâtant d’amertume un cœur fait pour aimer ardemment la vie.

À quatre heures, avant que Génie apportât le thé, elle fit quelques pas sur la route. Le soleil était doux. « Il faudra que je marche tous les jours, » pensa-t-elle, un peu ranimée. Elle prit un sentier dans les bois, reconnut le bruit de la chute. Dans une éclaircie, le toit de la papeterie se montra au