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REINE D’ARBIEUX

croyait pas, pourquoi avoir sur-le-champ chassé Adrien ? Un homme qui se défend ne raisonne guère. Il passa la main sur son menton mal rasé, se mordit la lèvre : il était fatigué. Cette secousse l’avait plus vieilli que n’auraient fait des années entières.

Une heure plus tard, comme la nuit était tout à fait tombée, il se décida enfin à rentrer, regarda sa montre. Si Reine l’avait vu à ce moment, peut-être aurait-elle découvert sur son visage une expression qui l’eût étonnée. Devant des événe­ments qui le dépassaient, quel vieux levain de christianisme ou quelle obscure fatalité annihilait en lui des instincts violents ? Cette femme qu’il aimait, qu’il voulait garder, il ne l’interrogerait même pas. Maintenant qu’Adrien était parti, l’un et l’autre respireraient : une vie nouvelle allait commencer. C’était l’heure où une nature primi­tive, qui n’a jamais compté que sur sa force, découvre à tâtons quelque chose d’autre, un peu de bonté, ce filet d’émotion profonde d’où naît le pardon.

Lorsque son auto approcha de la maison, il vit le salon éclairé. Reine était assise devant le piano. À travers les rideaux de la porte-fenêtre, il dis­tingua sa silhouette : elle jouait en sourdine un morceau qu’il ne connaissait pas ; toujours il avait professé que la musique l’ennuyait et ne se don­nait pas la peine d’écouter. Mais ce soir il s’arrêta devant le portail. Qui dira tout ce qu’il découvrait en ces quelques heures ? Il avait l’impression que