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REINE D’ARBIEUX

Adrien ne répondait pas. Était-ce que la tré­pidation de la motocyclette ne permettait pas d’entendre sa voix ? Elle avait tourné la tête, aperçu le visage creusé et tendu d’un homme inconnu. Une angoisse confuse lui serra le cœur.

Que chaque tour de route l’éloigne de La Renar­dière et la précipite vers sa perte, elle ne le sait pas. Épuisée, elle s’est confiée d’un élan profond ; comme tant d’autres qui s’illusionnent, les yeux fermés, elle a cédé au désir éternel d’être protégée. Qu’elle est puissante, notre soif infinie de consola­tion, pour que cette jeune femme endolorie soit emportée, le visage clos, encore ignorante de la route prise ?

Au-dessus d’elle, Adrien exulte d’une fiévreuse joie. Il ne songe plus à sa vengeance. Le bonheur d’emmener Reine dans cette course folle éclipse à ses yeux tout autre sentiment. Dans l’étroit fauteuil, elle semble blottie, et il ne voit qu’une nuque blanche entre le col et l’écharpe de gaze qui couvre sa tête. Une toute jeune femme, presque une enfant, mais si courageuse ! Adrien eut la sensation que sa poitrine s’élargissait ; il leva un regard vers le ciel fourmillant d’étoiles et traversé de longues pistes phosphorescentes, puis l’abaissa de nou­veau sur Reine : toute à sa merci, tressaillante, elle était la proie précieuse que la vie lui avait livrée. Il l’avait prise. Il la garderait. Lui qui avait ruminé à froid, dans l’aridité d’un cœur sec, le cruel plaisir de l’enlever à Germain pour l’abandonner, il découvrait qu’un charme l’avait