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REINE D’ARBIEUX

vait-on d’ailleurs donner de l’importance à un garçon pauvre, à la veille de s’embarquer pour le Sénégal ? Mais la suspicion s’attachait à Reine. Avec l’acharnement que certains insectes montrent pour les êtres d’une autre espèce, Mme  Dutauzin, l’observant de loin, découvrait son tourment caché.

— On ne m’ôtera pas de l’idée — et Dieu veuille que je me trompe ! — qu’elle ressemble à son pauvre père.

Était-ce croyable ? Après dix-huit ans, et le dénouement mélancolique d’une passion voilée de silence, que la mort miséricordieuse, peut-être même secrètement tendre à la jeunesse, avait par deux fois scellée de sa paix, personne ne pardonnait à Arthur d’Arbieux de s’être évadé de son petit monde. Nombreux étaient ceux qui l’imaginaient autrefois revenant en enfant prodigue. Avec quelle jouissance on l’aurait vu, honteux et endolori, frapper longtemps aux portes closes, qui ne se seraient pour sa femme jamais entr’ouvertes.

— Toi… mais pas elle !

Ni l’un ni l’autre. La mort seule, où tout vient se perdre, avait ouvert à ces deux qui s’aimaient un havre éternel, une sérénité définitive dont certains s’étaient sentis vaguement troublés.

Il était bien vrai que Reine rappelait son père. Dès son enfance avait refleuri, sur la pulpe claire de son visage, aux grands yeux changeants, la même expression rêveuse, un peu nonchalante.