Page:Balde - Reine d'Arbieux, 1932.pdf/23

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
23
REINE D’ARBIEUX

la vit, debout, devant la table de jardin chargée d’un plateau. Une expression affectueuse dilata ses traits. Que sa bouche était bonne, d’un dessin délicat, dans la barbe châtain qui cerclait ses joues ! Son sourire, comme une douceur secrète, l’éclairait.

Elle avait senti ce regard qui la touchait plus qu’une parole. Quel pouvoir il avait sur elle sans l’avoir cherché ! Toujours elle devait le revoir comme il était à ce moment, sur le fond bleu-vert du vallon. Les épaules tournées de trois quarts, la main si belle sur la pierre épaisse, bourgeonnant de mousse. L’après-midi orageux encadrait sa tête noblement construite.

Dans ce visage, les yeux habituellement inquiets et voilés, les traits fins, et surtout un air de mélancolie, décelaient une nature sensible.

Depuis une heure, les questions bourdonnant autour de lui avaient mis à vif les blessures qu’il dissimulait : « Ainsi vous partez… vous êtes content ? » Certains s’informaient : il avait sans doute une place importante ? Me  Rivière citait des anecdotes sur le mal de mer. C’était un petit homme chauve, exubérant, toujours débordé par les affaires laissées en souffrance, mais heureux de vivre, et passant son temps à la campagne où il attelait ses chevaux, un grand et un petit, à son omnibus. Ces gens sédentaires, qui pour rien au monde n’auraient perdu de vue le clocher de leur cathédrale, continuaient à se faire des colonies une idée à la fois terrible et ingénue — chaleur, fièvre