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têtes de bétail. Pour cette nature fortement constituée, longtemps réduite en servitude, l’exercice de l’autorité avait été plus qu’un bonheur, une sorte de volupté qui infusait dans les veines de cette vieille femme une nouvelle vie. Son règne sur les choses et les gens s’était établi. Auprès de Sourbets, qui la félicitait avec adresse, et qu’elle estimait, cette joie profonde poussait sa racine dans l’amour-propre, mais aussi dans un fonds plus obscur, hérité de toute une race qui avait possédé la terre et l’avait aimée.

Devant l’étable, d’où débordait par l’entrée ouverte une épaisse couche de bruyère, ils furent arrêtés par les vaches que deux enfants — un garçon de dix ans, le cou brun dans une chemise de coton, et une petite fille — poussaient devant eux en hâte, courant après une génisse tachée de blanc et de rouge qui s’écartait. Au fond du parc enténébré, où la double rangée de bestiaux répandait une puissante odeur animale, la vue du vallon s’encadrait dans une ouverture. Germain Sourbets jetait de ce côté de fréquents coups d’œil. À Mme Fondespan, qui parlait patois au métayer, un grand sec, grisonnant, le regard fin glissant sur la bouche droite, il brûlait de poser une question qui ne parvenait pas à franchir ses lèvres. Possédé par le désir d’amener dans la conversation le nom de Régis, il temporisait à la manière paysanne. À cette heure, sans doute, les deux jeunes gens s’étaient rejoints. L’indifférence qu’ils avaient montrée sur la terrasse n’était qu’une feinte.