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REINE D’ARBIEUX

le lendemain la tête à l’entrepreneur. Dans la salle à manger, la vieille Génie avait préparé une sou­pière couverte, du pâté et un « frontignan » de vin. C’était une petite femme au visage sec, les yeux déférents, la voix bonne : accourue avec une lampe, elle laissa crever l’orage ; quand la colère de Sour­bets fut un peu tombée, il posa son chapeau sur le buffet et se mit à table ; il coupa dans la miche une large tranche.

— Madame n’est pas fatiguée, disait la servante en contemplant la jeune femme comme si une prin­cesse lui fût apparue.

Reine regardait cette demeure où elle allait vivre : un long rez-de-chaussée où toutes les pièces ouvraient sur un corridor. Les meubles qu’on avait apportés en son absence n’étaient pas encore mis en place. Elle entra dans sa chambre. La vue du grand lit préparé la fit tressaillir, et elle soupira. Mais il y avait dans l’ombre une odeur de roses. Génie avait fleuri les vases de la cheminée. Reine se pencha, respira longuement les touffes, touchée au cœur par cette attention. Il lui était doux d’être un peu gâtée. Personne n’y avait jamais pensé. Pour­quoi Germain, qui l’emmenait dans les meilleurs hôtels et exigeait qu’elle commandât les plats les plus chers, ne lui offrait-il jamais une fleur ? Com­bien elle avait horreur de ces longs repas où son mari alourdi, le sang à la face, lui reprochait de ne manger pas plus qu’une grive. Mais ces belles journées de voyage, qui donnaient l’impression du vent et de la vitesse, en pleine fraîcheur, au cœur