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REINE D’ARBIEUX

Le déjeuner fut ce que sont dans ce pays de gibier et de recettes séculaires tous les déjeuners de « retour de noces », substantiel, savoureux, embaumé par le fumet des poulardes boursouflées devant un feu vif et des sauces fortes. Ce fut le repas de cérémonie pour lequel les vieilles dames arborent les broches de famille et les corsages scintillants de jais ; les messieurs, leur épingle de cravate la plus distinguée. Le sauternes était d’une grande année ; les bordeaux décantés par le maître de la maison et tiédis à point ; quant au croque-en-bouche, le sucre glacé en avait si bien scellé l’édifice qu’il fallut, pour ouvrir une brèche, s’y prendre à plusieurs fois.

De sa place, non loin de Mme Dutauzin qui tapo­tait la nappe de ses mains osseuses et agitées, couleur d’ivoire, Adrien Bernos plaçait à propos quelques compliments. C’était son talent de rete­nir, en les flattant, l’attention des femmes. À trente ans, la poitrine musclée, le visage anguleux et les yeux fins, il s’imposait par un mélange de dureté et de courtoisie. Un garçon intelligent, assu­rait l’opinion publique ! Doué d’un remarquable esprit de pénétration et sachant dire aux gens, avec un instinct infaillible, comparable au flair du chien de chasse, ce qui leur plaisait, il restait pourtant insensible aux avances qui lui étaient faites et ne se livrait pas. Tous ceux qui s’efforçaient d’établir avec lui des relations plus intimes avaient échoué. Était-ce de sa part un secret dédain ? On le voyait peu. Comme beaucoup de célibataires, dont nul