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REINE D’ARBIEUX

six vases : ils étaient vides. C’était bien cela ! Elle avait donc eu raison malgré tout d’épouser Sour­bets. Mieux valait vivre, fût-ce comme elle, rompue et froissée, que de croire à des bonheurs impos­sibles, qui flétrissent le cœur de leur goût de cendre.

Elle s’était assise sur un fauteuil bas et laissait errer son regard dans la chambre envahie par le crépuscule. Que la vie lui semblait étrange ! Était-ce à elle, si jeune encore, que toutes ces choses étaient arrivées ? Si elle avait épousé Régis, tout eût été tellement différent : elle ferma les yeux pour résis­ter aux images qui l’envahissaient. Sans qu’elle en eût conscience, la flamme mystérieuse qu’Adrien avait réveillée en elle venait attiser ses souvenirs. Comment Clémence pouvait-elle accepter sa des­tinée sans espérance ? C’est que la foi la nourris­sait d’un unique amour ; elle s’était fait au fond de son cœur une cellule de détachement et de paix où se consommaient tous ses sacrifices. Le front dans sa main, Reine suspendit un instant son souffle pour imaginer ce monde invisible, que son amie avait payé un prix infini. Combien elles avaient toujours été différentes ; et quel contraste mystérieux entre cette jeune fille maladive, à la poitrine effacée, un peu déviée, et la volonté ascé­tique qui l’éclairait au dedans d’une flamme droite et pure !

L’heure du dîner approchait et elle ne se décidait pas à rejoindre Germain qu’elle avait vu passer devant sa fenêtre. Une ou deux fois, elle s’était