Page:Baltasar Gracián - L’Homme de cour.djvu/12

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
12
L’HOMME DE COUR

est fausse pour le mal, à qui la même exagération sert à démentir la médisance ou la calomnie avec plus d’applaudissement, en faisant paraître tolérable ce qu’on croyait être l’extrémité même du mal.

XX

L’homme dans son siècle.

Les gens d’éminent mérite dépendent des temps. Il ne leur est pas venu à tous celui qu’ils méritaient ; et, de ceux qui l’ont eu, plusieurs n’ont pas eu le bonheur d’en profiter. D’autres ont été dignes d’un meilleur siècle. Témoignage que tout ce qui est bon ne triomphe pas toujours. Les choses du monde ont leurs saisons, et ce qu’il y a de plus éminent est sujet à la bizarrerie de l’usage. Mais le sage a toujours cette consolation qu’il est éternel ; car, si son siècle lui est ingrat, les siècles suivants lui font justice.

XXI

L’art d’être heureux.

Il y a des règles de bonheur, et le bonheur n’est pas toujours fortuit à l’égard du sage ; son industrie y peut aider. Quelques-uns se contentent de se tenir à la porte de la fortune, en bonne posture, et attendent qu’elle leur ouvre. D’autres font mieux, ils passent plus avant, à la faveur de leur hardiesse et de leur mérite, et tôt ou tard ils gagnent la fortune, à force de la cajoler.