Page:Baltasar Gracián - L’Homme de cour.djvu/20

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
20
L’HOMME DE COUR

rament, d’où dépend la bienséance. Il faut mettre toute sa liberté à si bien choisir que l’on ne pèche jamais contre le bon goût.

XXXIV

Connaître son fort.

Cette connaissance sert à cultiver ce que l’on a d’excellent, et à perfectionner ce que l’on a de commun. Bien des gens fussent devenus de grands personnages, s’ils eussent connu leur vrai talent. Connaissez donc le vôtre, et joignez-y l’application. Dans les uns, le jugement l’emporte, et, dans les autres, le courage. La plupart font violence à leur génie : d’où il arrive qu’ils n’excellent jamais en rien. L’on quitte fort tard ce que la passion a fait épouser de bonne heure.

XXXV

Peser les choses selon leur juste valeur.

Les fous ne périssent que faute de ne penser à rien. Comme ils ne conçoivent pas les choses, ils ne voient ni le dommage, ni le profit ; et, par conséquent, ils ne s’en mettent point en peine. Quelques-uns font grand cas de ce qui importe peu, et n’en font guère de ce qui importe beaucoup, parce qu’ils prennent tout à rebours. Plusieurs, faute de sentiment, ne sentent pas leur mal. Il y a des choses où l’on ne saurait trop penser. Le sage fait réflexion à tout, mais non pas également. Car il creuse où il y a du fond,