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L’HOMME DE COUR

soient accompagnés de la bonne fortune ; car son plaisir est de se montrer aussi revêche à ceux qui s’en vont, qu’elle est civile et caressante envers ceux qui viennent.

LX

Le bon sens.

Quelques-uns naissent prudents, ils entrent, par un penchant naturel, dans le chemin de la sagesse, et d’abord ils sont presque à mi-chemin. La raison leur mûrit avec l’âge et l’expérience, et ils arrivent enfin au plus haut degré de jugement. Ils ont horreur du caprice comme d’une tentation de leur prudence, mais surtout dans les matières d’État qui, à cause de leur extrême importance, exigent qu’on prenne toutes les sûretés. De tels hommes méritent d’être au timon de l’État, ou du moins d’être du conseil de ceux qui le tiennent.

LXI

Exceller dans l’excellent.

C’est une grande singularité parmi la pluralité des perfections. Il n’y peut avoir de héros qu’il n’y ait en lui quelque extrémité sublime. La médiocrité n’est pas un objet assez grand pour l’applaudissement. L’éminence dans un haut emploi distingue du vulgaire, et élève à la catégorie d’homme rare. Être éminent dans une profession basse, c’est être grand dans le petit, et