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L’HOMME DE COUR

LXIX

Ne point donner dans l’humeur vulgaire.

C’est un grand homme que celui qui ne donne point d’entrée aux impressions populaires. C’est une leçon de prudence de réfléchir sur soi-même, de connaître son propre penchant, et de le prévenir, et d’aller même à l’autre extrémité pour trouver l’équilibre de la raison entre la nature et l’art. La connaissance de soi-même est le commencement de l’amendement. Il y a des monstres d’impertinence qui sont tantôt d’une humeur, tantôt d’une autre, et qui changent de sentiments comme d’humeur. Ils s’engagent à des choses toutes contraires, se laissant toujours entraîner à l’impétuosité de ce débordement civil qui ne corrompt pas seulement la volonté, mais encore la connaissance et le jugement.

LXX

Savoir refuser.

Tout ne se doit pas accorder, ni à tous. Savoir refuser est d’aussi grande importance que savoir octroyer ; et c’est un point très nécessaire à ceux qui commandent. Il y va de la manière. Un non de quelques-uns est mieux reçu qu’un oui de quelques autres, parce qu’un non assaisonné de civilité contente plus qu’un oui de mauvaise grâce. Il y a des gens qui ont toujours un non à la bouche, le non est toujours leur première réponse, et, quoiqu’il leur arrive après de tout accorder, on ne leur en sait point de gré, à cause