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L’HOMME DE COUR

mée, il suffira de contenter les sages, dont l’approbation sert de pierre de touche aux entreprises.

XCIII

L’homme universel.

L’homme qui possède toutes sortes de perfections en vaut lui seul beaucoup d’autres ; il rend la vie heureuse en se communiquant à ses amis. La variété jointe à la perfection est le passe-temps de la vie. C’est une grande adresse que de savoir se fournir de tout ce qui est bon, et, puisque la nature a fait en l’homme, comme en son plus excellent ouvrage, un abrégé de tout l’univers, l’art doit faire aussi de l’esprit de l’homme un univers de connaissance et de vertu.

XCIV

Capacité inépuisable.

Que l’habile homme se garde bien de laisser sonder le fond de son savoir et de son adresse, s’il veut être révéré de chacun ; qu’il se laisse connaître, mais non comprendre ; que personne n’ait sur lui l’avantage de trouver les bornes de sa capacité, de peur que l’on ne vienne à se détromper ; qu’il se ménage si bien que personne ne le voie tout entier. L’opinion et le doute attirent plus de vénération à celui de qui l’on ne connaît pas l’étendue de l’esprit, que ne fait la connaissance entière de ce qu’il est, si grand et si habile qu’il puisse être.