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L’HOMME DE COUR

de temps en temps. Il ne faut point parler à la vieille mode, le goût doit se faire à la nouvelle. Le goût des bonnes têtes sert de règle aux autres, dans chaque profession ; et, par conséquent, il faut s’y conformer et tâcher de se perfectionner. Que l’homme prudent s’accommode au présent, soit pour le corps, ou pour l’esprit, quand même le passé lui semblerait meilleur. Il n’y a que pour les mœurs que cette règle n’est pas à garder, attendu que la vertu doit se pratiquer en tous temps. On ne sait déjà plus ce que c’est que de dire la vérité, que de tenir sa parole. Si quelques-uns le font, ils passent pour des gens du vieux temps ; de sorte que personne ne les imite, bien que chacun les aime. Malheureux siècle, où la vertu passe pour étrangère, et la malice pour une mode courante ! Que le sage vive donc comme il pourra, s’il ne le peut pas comme il voudrait. Qu’il se tienne content de ce que le sort lui a donné, comme s’il valait mieux que ce qu’il lui a refusé.

CXXI

Ne point faire une affaire de ce qui n’en est pas une.

Comme il y a des gens qui ne s’embarrassent de rien, d’autres s’embarrassent de tout, ils parlent toujours en ministres d’État. Ils prennent tout au pied de la lettre ou au mystérieux. Des choses qui donnent du chagrin, il y en a peu dont il faille faire cas ; autrement on se tourmente bien en vain. C’est faire à contresens que de prendre à cœur ce qu’il faut jeter derrière le