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L’HOMME DE COUR

time de soi-même est punie par un mépris universel. Celui qui se paye de lui-même reste débiteur de tous les autres. Il sied mal de vouloir parler pour s’écouter. Si c’est une folie de se parler à soi-même, c’en est une double de s’écouter devant les autres. C’est un défaut des grands de parler d’un ton impérieux, et c’est ce qui assomme ceux qui les écoutent. À chaque mot qu’ils disent, leurs oreilles mendient un applaudissement, ou une flatterie, jusqu’à l’importunité. Les présomptueux aussi parlent par écho ; et, comme la conversation roule sur des patins d’orgueil, chaque parole est escortée de cette impertinente exclamation : Que cela est bien dit ! Ah le beau mot !

CXLII

Ne prendre jamais le mauvais parti, en dépit de son adversaire qui a pris le meilleur.

Celui qui le fait est à demi vaincu et, à la fin, il sera contraint de céder tout à fait ; l’on ne se vengera jamais bien par cette voie. Si ton adversaire a eu l’adresse de prendre le meilleur, garde-toi bien de faire la folie de le contrepointer en prenant le pire. L’obstination des actions engage d’autant plus que celle des paroles, qu’il y a bien plus de risque à faire qu’à dire. C’est la coutume des opiniâtres, de ne regarder ni à la vérité pour contredire, ni à l’utilité pour disputer. Le sage est toujours du côté de la raison, et ne donne jamais dans la passion. Ou il prévient, ou il revient ; de sorte que si son rival