Page:Balzac, Chasles, Rabou - Contes bruns, 1832.djvu/10

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Jamais le phénomène oral qui, bien étudié, bien manié, fait la puissance de l’acteur et du conteur, ne m’avait si complètement ensorcelé ; je ne fus pas seul soumis à ces doux prestiges; nous passâmes tous une soirée délicieuse.

Entre onze heures et minuit, la conversation, jusque là brillante, antithétique, devint conteuse, elle entraîna dans son cours précipité de curieuses confidences, plusieurs portraits, mille folies.

Un savant, avec lequel je fis de conserve la route de la rue Saint-Germain-des-Prés à l’Observatoire royal, regarda cette ravissante improvisation comme intraduisible; mais, dans ma témérité de disputeur, je m’engageai presque à reproduire les plaisirs de cette soirée, moins pour soutenir mon opinion que pour donner à mes émotions la vie factice du souvenir, la distance qui se trouve entre la parole et l’écrit. Mais en voulant tâcher de laisser à ces choses leur verdeur, leur abrupte naturel, leurs fallacieuses sinuosités, j’ai pris la conversation à l’heure où chaque récit nous attacha vivement. S’il fallait peindre le moment où tous les esprits luttèrent, où toutes les opinions brûlèrent, où la pensée imita les