Page:Balzac, Chasles, Rabou - Contes bruns, 1832.djvu/230

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

enfin la religieuse terreur qui jusque là l’avait empêché d’interroger son œuvre, il l’eût essayée de ses mains s’il l’eût eue à sa disposition ; mais, en homme qui savait son monde, il l’avait, dans la journée, envoyée à l’hôtel du gouvernement, enfermée dans un riche étui, dont il avait gardé la clef. Le sort en était donc jeté, et il n’y avait plus à revenir sur ses pas ; dans un quart d’heure il aurait effacé la gloire de Stradivarius et celle de tous les maîtres de l’art, ou il serait devenu l’objet d’une inexorable dérision. Après tout, ce sont là, à vrai dire, les deux termes du marché auquel se soumet quiconque dans cette vie essaie de penser ou de vouloir de la première main.

A l’heure où tous les convives du grand banquet musical furent rassemblés, Tobias Guarnerius fut introduit dans le salon du gouverneur, où, pour cette fois, il avait entrée. L’aspect général de sa toilette presque antédiluvienne, et accusant un délabrement de vieille date, malgré tous les soins extraordinaires qu’il y avait donnés, quelque chose de gauche et d’endimanché répandu dans toute l’habitude de son corps faisait de lui un personnage assez burlesque. Toutefois, au moment où on le vit assis dans un coin,