Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/117

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— Où ? dit le procureur général.

— À deux pas du Parquet, sous la voûte, répondit Bibi-Lupin.

— Débarrassez cet homme de vos ficelles, dit sévèrement monsieur de Grandville à Bibi-Lupin. Sachez que, jusqu’à ce qu’on vous ordonne de l’arrêter de nouveau, vous devez laisser cet homme libre… Et sortez !… Vous êtes habitué à marcher et agir comme si vous étiez à vous seul la justice et la police.

Et le procureur général tourna le dos au chef de la police de sûreté, qui devint blême, surtout en recevant un regard de Jacques Collin, où il devina sa chute.

— Je ne suis pas sorti de mon cabinet, je vous attendais, et vous ne doutez pas que j’aie tenu ma parole comme vous teniez la vôtre, dit monsieur de Grandville à Jacques Collin.

— Dans le premier moment, j’ai douté de vous, monsieur, et peut-être à ma place eussiez-vous pensé comme moi ; mais la réflexion m’a montré que j’étais injuste. Je vous apporte plus que vous ne me donnez ; vous n’aviez pas intérêt à me tromper…

Le magistrat échangea soudain un regard avec Corentin. Ce regard, qui ne put échapper à Trompe-la-Mort, dont l’attention était portée sur monsieur de Grandville, lui fit apercevoir le petit vieux étrange, assis sur un fauteuil, dans un coin. Sur-le-champ, averti par cet instinct si vif et si rapide qui dénonce la présence d’un ennemi, Jacques Collin examina ce personnage ; il vit du premier coup d’œil que les yeux n’avaient pas l’âge accusé par le costume, et il reconnut un déguisement. Ce fut en une seconde la revanche prise par Jacques Collin sur Corentin, de la rapidité d’observation avec laquelle Corentin l’avait démasqué chez Peyrade. (Voir Splendeurs et Misères, IIe Partie.)

— Nous ne sommes pas seuls !… dit Jacques Collin à monsieur de Grandville.

— Non, répliqua sèchement le procureur général.

— Et monsieur, reprit le forçat, est une de mes meilleures connaissances… Je crois ?…

Il fit un pas et reconnut Corentin, l’auteur réel, avoué de la chute de Lucien. Jacques Collin, dont le visage était d’un rouge de brique, devint, pour un rapide et imperceptible instant, pâle et presque blanc ; tout son sang se porta au cœur, tant fut ardente et frénétique son envie de sauter sur cette bête dangereuse et de l’écraser ; mais il refoula ce désir brutal et le comprima par la