Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/164

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ces gens-là dépensent près de cent francs par mois de fleurs… On dit que le vieux n’a que trois mille francs de pension.

— En tout cas, répliqua Godefroid, ce n’est pas à vous à trouver mauvais qu’ils se ruinent en fleurs.

— Oui, monsieur, pourvu que je sois payé.

— Apportez-moi votre mémoire.

— Très-bien, monsieur… dit le jardinier avec une teinte de respect. Monsieur veut sans doute voir la dame cachée.

— Allons ! mon cher ami, vous vous oubliez ! répliqua sèchement Godefroid. Retournez chez vous, choisissez vos plus belles fleurs pour remplacer celles que vous devez reprendre. Si vous pouvez me donner à moi de bonne crème et des œufs frais, vous aurez ma pratique et j’irai voir ce matin votre établissement.

— C’est un des plus beaux de Paris, monsieur, et j’expose au Luxembourg. Mon jardin, qui a trois arpents, est situé sur le boulevard, derrière le jardin de la Grande Chaumière.

— Bien, monsieur Cartier. Vous êtes, à ce que je vois, plus riche que je ne le suis… Ayez donc des égards pour nous, car qui sait si nous n’aurons pas quelque besoin les uns des autres ?

Le jardinier sortit, fort inquiet de ce que pouvait être Godefroid.

— J’ai pourtant été comme cela ! se dit Godefroid en soufflant son feu. Quel admirable représentant du bourgeois d’aujourd’hui : commère, curieux, dévoré d’égalité, jaloux de la pratique, furieux de ne pas savoir pourquoi un pauvre malade reste dans sa chambre sans se montrer, et cachant sa fortune, vaniteux au point de la découvrir pour pouvoir se mettre au-dessus de son voisin. Cet homme doit être au moins lieutenant dans sa compagnie. Avec quelle facilité se joue à toutes les époques la scène de monsieur Dimanche ! Encore un instant et je me faisais un ami du sieur Cartier.

Le grand vieillard interrompit ce soliloque de Godefroid qui prouve combien ses idées étaient changées depuis quatre mois.

— Pardon, mon voisin, dit-il d’une voix troublée, je vois que vous venez de renvoyer le jardinier satisfait, car il m’a salué poliment. En vérité, jeune homme, la Providence semble vous avoir envoyé exprès ici, pour nous, au moment même où nous succombions. Hélas ! une indiscrétion de cet homme vous a fait deviner bien des choses. Il est vrai que j’ai touché le semestre de ma pension il y a quinze jours, mais j’avais des dettes plus pressantes que