Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/182

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femme, après tout, et vous ne serez pas étonné de l’intérêt que j’ai pris à votre visite… Vous me ferez le plaisir de prendre une tasse de thé avec nous…

— Monsieur m’a promis la soirée, répondit le vieillard avec la grâce d’un millionnaire qui fait les honneurs chez lui.

Auguste, assis sur une chaise en tapisserie, à une petite table en marqueterie ornée de cuivres, lisait un livre à la clarté des candélabres de la cheminée.

— Auguste, mon enfant, dis à Jean de venir nous servir le thé dans une heure.

Elle accompagna cette phrase d’un regard expressif, auquel Auguste répondit par un signe.

— Croiriez-vous, monsieur, que depuis six ans, je n’ai pas d’autres serviteurs que mon père et mon fils, et je n’en pourrais plus supporter d’autres. S’ils me manquaient, je mourrais… Mon père ne veut pas que Jean, un pauvre Normand qui nous sert depuis trente ans, vienne dans ma chambre.

— Je crois bien, dit finement le vieillard, monsieur l’a vu, il scie le bois, il le rentre ; il fait la cuisine ; il fait les commissions ; il porte un tablier sale ; il aurait fricassé toute cette élégance, si nécessaire aux yeux d’une pauvre fille, pour qui cette chambre est toute la nature…

— Ah ! madame, monsieur votre père a bien raison…

— Et pourquoi ?… dit-elle. Si Jean avait gâté ma chambre, mon père l’aurait renouvelée.

— Oui, mon enfant ; mais ce qui m’en empêche, c’est que tu ne peux pas la quitter ; et tu ne connais pas les tapissiers de Paris !… il leur faudrait plus de trois mois pour refaire ta chambre. Songe à la poussière qui s’élèverait de ton tapis, si on l’ôtait. Faire faire ta chambre par Jean ? y penses-tu ?… En prenant les précautions minutieuses dont sont capables un père et un fils, nous t’avons évité le balayage, la poussière… Si seulement Jean entrait pour nous servir, ce serait fini dans un mois… — Ce n’est pas par économie, dit Godefroid, c’est pour votre santé. Monsieur votre père a raison.

— Je ne me plains pas, répliqua Vanda d’une voix pleine de coquetterie.

Cette voix faisait l’effet d’un concert. L’âme, le mouvement et la vie s’étaient concentrés dans le regard et dans la voix ; car Vanda,