Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/240

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Florine va-t-elle être jalouse de feu mademoiselle Laguerre ? Nos Bouret modernes n’ont plus de Noblesse française qui leur apprenne à vivre, ils se mettent trois pour payer une loge à l’Opéra, se cotisent pour un plaisir, et ne coupent plus d’in-quarto magnifiquement reliés pour les rendre pareils aux in-octavo de leur bibliothèque. A peine achète-t-on les livres brochés ! Où allons-nous ? Adieu, mes enfants ! Aimez toujours

« Votre doux Blondet »

Si, par un hasard miraculeux, cette lettre, échappée à la plus paresseuse plume de notre époque, n’avait pas été conservée, il eût été presque impossible de peindre les Aigues. Sans cette description, l’histoire, doublement horrible qui s’y est passée, serait peut-être moins intéressante.

Beaucoup de gens s’attendent sans doute à voir la cuirasse de l’ancien colonel de la garde impériale éclairée par un jet de lumière, à voir sa colère allumée tombant comme une trombe sur cette petite femme, de manière à rencontrer vers la fin de cette histoire ce qui se trouve à la fin de tant de livres modernes, un drame de chambre à coucher. Le drame moderne pourrait-il éclore dans ce joli salon à dessus de porte en camaïeu bleuâtre où babillaient les amoureuses scènes de la Mythologie, où de beaux oiseaux fantastiques étaient peints au plafond et sur les volets, où sur la cheminée riaient à gorge déployée les monstres de porcelaine chinoise, où sur les plus riches vases, des dragons bleu et or tournaient leur queue en volute autour du bord que la fantaisie japonaise avait émaillé de ses dentelles de couleurs, où les duchesses, les chaises longues, les sofas, les consoles, les étagères, inspiraient cette paresse contemplative qui détend toute énergie ? Non, le drame ici n’est pas restreint à la vie privée, il s’agite ou plus haut ou plus bas. Ne vous attendez pas à de la passion, le vrai ne sera que trop dramatique. D’ailleurs, l’historien ne doit jamais oublier que sa mission est de faire à chacun sa part ; le malheureux et le riche sont égaux devant sa plume ; pour lui, le paysan a la grandeur de ses misères, comme le riche a la petitesse de ses ridicules ; enfin, le riche a des passions, le paysan n’a que des besoins, le paysan est donc doublement pauvre ; et si, politiquement, ses agressions doivent être impitoyablement réprimées, humainement et religieusement, il est sacré.