Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/281

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doué de mouvement, et dont le pareil ne se voit que dans le tableau des Sabines de David, lui cria :

— N’y touche pas ou je te saute aux yeux !

— Eh ! bien, osez défaire votre fagot en présence de monsieur Brunet ? dit le garde.

Quoique l’huissier affectât cet air d’indifférence que l’habitude des affaires donne aux officiers ministériels, il fit à la cabaretière et à son mari ce clignement d’yeux qui signifie : mauvaise affaire !… Le vieux Fourchon, lui ! [Il faudrait probablement une virgule à la place du point d’exclamation. (N.d.E.)] montra du doigt à sa fille le tas de cendres amoncelé dans la cheminée par un geste significatif. La Tonsard, qui comprit à la fois le danger de sa belle-mère et le conseil de son père, prit une poignée de cendres et la jeta dans les yeux du garde. Vatel se mit à hurler, Tonsard éclairé de toute la lumière que perdait le garde, le poussa rudement sur les méchantes marches extérieures où les pieds d’un aveugle devaient si facilement trébucher, que Vatel roula jusque dans le chemin en lâchant son fusil. En un moment, le fagot fut défait, les bûches en furent extraites et cachées avec une prestesse qu’aucune parole ne peut rendre. Brunet, ne voulant pas être témoin de cette opération prévue, se précipita sur le garde pour le relever, il l’assit sur le talus et alla mouiller son mouchoir dans l’eau pour laver les yeux au patient qui, malgré ses souffrances, essayait de se traîner vers le ruisseau.

— Vatel, vous avez tort, lui dit l’huissier, vous n’avez pas le droit d’entrer dans les maisons, voyez-vous…

La vieille, petite femme presque bossue, lançait autant d’éclairs par ses yeux que d’injures par sa bouche démeublée et couverte d’écume, en se tenant sur le seuil de la porte, les poings sur ses hanches et criant à se faire entendre de Blangy.

— Ah ! gredin, c’est bien fait, va ! Que l’enfer te confonde !… Me soupçonner de couper des âbres ! moi, la pus honnête femme du village, et me chasser comme une bête malfaisante ! Je voudrais que tu perdes les yeux, le pays y gagnerait sa tranquillité. Vous êtes tous des porte-malheur ! toi et tes compagnons qui supposez des méfaits pour animer la guerre entre votre maître et nous autres.

Le garde se laissait nettoyer les yeux par l’huissier qui, tout en le pansant, lui démontrait toujours, qu’en Droit, il était répréhensible.