Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/289

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attendant le père Fourchon, que vous enverrez chercher par Charles. Voyez à trouver des souliers, un pantalon et une veste pour cet enfant. Ceux qui viennent ici tout nus, doivent en sortir habillés…

— Que Dieu vous bénisse ! ma chère dame, dit Mouche en s’en allant, m’sieur le curé peut être certain que venant de vous, je garderai ces hardes pour les jours de fête.

Emile et madame de Montcornet se regardèrent étonnés de cet à-propos, et parurent dire au curé par un coup-d’œil : il n’est pas si sot !…

— Certes, madame, dit le curé quand l’enfant ne fut plus là, l’on ne doit pas compter avec la Misère, je pense qu’elle a des raisons cachées dont le jugement n’appartient qu’à Dieu, des raisons physiques souvent fatales, et des raisons morales nées du caractère, produites par des dispositions que nous accusons et qui parfois sont le résultat de qualités, malheureusement pour la société, sans issue. Les miracles accomplis sur les champs de bataille nous ont appris que les plus mauvais drôles pouvaient s’y transformer en héros… Mais ici vous êtes dans des circonstances exceptionnelles, et si votre bienfaisance ne marche pas accompagnée de la réflexion, vous courrez risque de solder vos ennemis…

— Nos ennemis ? s’écria la comtesse.

— De cruels ennemis ? répéta gravement le général.

— Le père Fourchon est avec son gendre Tonsard, reprit le curé, toute l’intelligence du menu peuple de la vallée, on les consulte pour les moindres choses. Ces gens-là sont d’un machiavélisme incroyable. Sachez-le, dix paysans réunis dans un cabaret sont la monnaie d’un grand politique…

En ce moment, François annonça monsieur Sibilet.

— C’est le ministre des finances, dit le général en souriant, faites-le entrer, il vous expliquera la gravité de la question, ajouta-t-il en regardant sa femme et Blondet.

— D’autant plus qu’il ne vous la dissimule guère, dit tout bas le curé.

Blondet aperçut alors le personnage dont il entendait parler depuis son arrivée, et qu’il désirait connaître, le régisseur des Aigues. Il vit un homme de moyenne taille, d’environ trente ans, doué d’un air boudeur, d’une figure disgracieuse à qui le rire allait mal. Sous un front soucieux, des yeux d’un vert changeant se