Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/300

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officier, loyalement, par son travail et non par le vol. Le soc et le briquet sont deux jumeaux. Le soldat a de plus que le paysan, à toute heure, la mort à fleur de tête.

— Voilà ce que je voudrais leur dire en chaire ! s’écria l’abbé Brossette.

— De la tolérance ? reprit le garde-général en répondant à l’invitation de Sibilet, je tolérerais bien dix pour cent de perte sur les revenus bruts des Aigues ; mais, à la façon dont vont les choses, c’est trente pour cent que vous perdez, mon général, et si monsieur Sibilet a tant pour cent sur la recette, je ne comprends pas sa tolérance, car il renonce assez bénévolement à mille ou douze cents francs par an.

— Mon cher monsieur Michaud, répliqua Sibilet d’un ton grognon, je l’ai dit à monsieur le comte, j’aime mieux perdre douze cents francs que la vie. Je ne vous épargne pas les conseils à cet égard !…

— La vie ? s’écria la comtesse, il s’agirait dans ceci de la vie de quelqu’un ?

— Nous ne devrions pas discuter ici les affaires de l’état, reprit le général en riant. Tout ceci, madame, signifie que Sibilet, en sa qualité de financier, est craintif et poltron, tandis que mon ministre de la guerre est brave, et de même que son général, ne redoute rien.

— Dites prudent ! monsieur le comte, s’écria Sibilet.

— Ah ! çà ! nous sommes donc ici comme les héros de Cooper dans les forêts de l’Amérique, entourés de piéges par les Sauvages ? demanda railleusement Blondet.

— Allons ! votre état, messieurs, est de savoir administrer sans nous effrayer par le bruit des rouages de l’administration, dit madame de Montcornet.

— Ah ! peut-être est-il nécessaire, madame la comtesse, que vous sachiez tout ce qu’un de ces jolis bonnets que vous portez, coûte de sueurs ici, dit le curé.

— Non, car je pourrais bien alors m’en passer, devenir respectueuse devant une pièce de vingt francs, être avare comme tous les campagnards, et j’y perdrais trop, répliqua la comtesse en riant. Tenez, mon cher abbé, donnez-moi le bras, laissons le général entre ses deux ministres, et allons à la porte d’Avonne voir madame Michaud à qui depuis mon arrivée je n’ai pas