Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/305

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tribunal des probabilités, il est nécessaire d’en expliquer les commencements. Protégé par son père, le jeune Gaubertin fut nommé maire de Blangy. Il put donc faire payer en argent malgré les lois, en terrorisant (un mot du temps) les débiteurs qui pouvaient à sa guise être ou non frappés par les écrasantes réquisitions de la République. Le régisseur, lui, donna des assignats à sa bourgeoise, tant que dura le cours de ce papier-monnaie, qui, s’il ne fit pas la fortune publique, fit du moins beaucoup de fortunes particulières. De 1792 à 1795, pendant trois ans, le jeune Gaubertin récolta cent cinquante mille livres aux Aigues, avec lesquelles il opéra sur la place de Paris. Bourrée d’assignats, mademoiselle Laguerre fut obligée de battre monnaie avec ses diamants désormais inutiles ; elle les remit à Gaubertin qui les vendit et lui en rapporta fidèlement le prix en argent. Ce trait de probité toucha beaucoup mademoiselle, elle crut dès lors en Gaubertin comme en Piccini.

En 1796, époque de son mariage avec la citoyenne Isaure Mouchon, fille d’un ancien conventionnel ami de son père, Gaubertin possédait trois cent cinquante mille francs en argent ; et, comme le Directoire lui parut devoir durer, il voulut, avant de se marier, faire approuver ses cinq ans de gestion par mademoiselle, en prétextant d’une nouvelle ère.

— Je serai père de famille, dit-il, vous savez quelle est la réputation des intendants, mon beau-père est un républicain d’une probité romaine, un homme influent d’ailleurs, je veux lui prouver que je suis digne de lui.

Mademoiselle Laguerre arrêta les comptes de Gaubertin dans les termes les plus flatteurs.

Pour inspirer de la confiance à madame des Aigues, le régisseur essaya, dans les premiers temps, de réprimer les paysans en craignant avec raison que les revenus ne souffrissent de leurs dévastations, et que les prochains pots-de-vin du marchand de bois fussent moindres ; mais alors le peuple souverain se regardait partout comme chez lui, madame eut peur de ses rois en les voyant de si près, et dit à son Richelieu qu’elle voulait avant tout, mourir en paix. Les revenus de l’ancien Premier Sujet du Chant étaient si fort au-dessus de ses dépenses qu’elle laissa s’établir les plus funestes précédents. Ainsi, pour ne pas plaider, elle souffrit les empiétements de terrain de ses voisins. En voyant son parc entouré