Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/309

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possédait la plus belle maison de Soulanges, six mille francs environ, et l’espérance de quatre cents francs de retraite, le jour où il quitterait le service. Devenue madame Soudry, la Cochet obtint dans Soulanges une grande considération. Quoiqu’elle gardât un secret absolu sur le montant de ses économies, placées comme les fonds de Gaubertin à Paris, chez le commissionnaire des marchands de vin du département, un certain Leclercq, enfant du pays que le régisseur commandita, l’opinion générale fit de l’ancienne femme de chambre une des premières fortunes de cette petite ville d’environ douze cents âmes.

Au grand étonnement du pays, monsieur et madame Soudry reconnurent pour légitime, par leur acte de mariage, un fils naturel du gendarme, à qui dès lors la fortune de madame Soudry devait appartenir. Le jour où ce fils acquit officiellement une mère, il venait d’achever son Droit à Paris et se proposait d’y faire son stage, afin d’entrer dans la magistrature.

Il est presqu’inutile de faire observer qu’une mutuelle intelligence de vingt années engendra l’amitié la plus solide entre les Gaubertin et les Soudry. Les uns et les autres devaient, jusqu’à la fin de leurs jours, se donner réciproquement urbi et orbi pour les plus honnêtes gens de France. Cet intérêt, basé sur une connaissance réciproque des taches secrètes que portait la blanche tunique de leur conscience, est un des liens les moins dénoués ici-bas. Vous en avez, vous qui lisez ce drame social, une telle certitude, que pour expliquer la continuité de certains dévoûments qui font rougir votre égoïsme, vous dites de deux personnes : " Elles ont, pour sûr, commis quelque crime ensemble ! "

Après vingt-cinq ans de gestion, l’intendant se voyait alors à la tête de six cent mille francs en argent, et la Cochet possédait environ deux cent cinquante mille francs. Le revirement agile et perpétuel de ces fonds, confiés à la maison Leclercq et compagnie du quai de Béthune, à l’île Saint-Louis, antagoniste de la fameuse maison Grandet, aida beaucoup à la fortune de ce commissionnaire en vins et à celle de Gaubertin. A la mort de mademoiselle Laguerre, Jenny, fille aînée du régisseur, fut demandée en mariage par Leclercq, chef de la maison du quai de Béthune. Gaubertin se flattait alors de devenir le maître des Aigues par un complot ourdi dans l’étude de maître Lupin, notaire établi par lui depuis onze ans à Soulanges.