Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/314

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épiques, avant de se donner la mort. Le Sauvage, le Paysan, qui tient beaucoup du Sauvage, ne parlent jamais que pour tendre des piéges à leurs adversaires. Depuis 1789, la France essaie de faire croire, contre toute évidence, aux hommes qu’ils sont égaux ; or, dire à un homme : " Vous êtes un fripon ! " est une plaisanterie sans conséquence ; mais le lui prouver en le prenant sur le fait et le cravachant ; mais le menacer d’un procès correctionnel sans le poursuivre, c’est le ramener à l’inégalité des conditions. Si la masse ne pardonne à aucune supériorité, comment un fripon pardonnerait-il à l’honnête homme ?

Montcornet aurait renvoyé son intendant sous prétexte d’acquitter d’anciennes obligations en mettant à sa place quelque ancien militaire ; certes, ni Gaubertin, ni le général ne se seraient trompés, l’un aurait compris l’autre ; mais l’autre, en ménageant l’amour-propre de l’un, lui eût ouvert une porte pour se retirer, Gaubertin eût alors laissé le grand propriétaire tranquille, il eût oublié sa défaite à l’Audience des Criées ; et peut-être eût-il cherché l’emploi de ses capitaux à Paris. Ignominieusement chassé, le régisseur garda contre son maître une de ces rancunes qui sont un élément de l’existence en province, et dont la durée, la persistance, les trames, étonneraient les diplomates habitués à ne s’étonner de rien. Un cuisant désir de vengeance lui conseilla de se retirer à La-Ville-aux-Fayes, d’y occuper une position d’où il pût nuire à Montcornet, et lui susciter assez d’ennuis pour le forcer à remettre les Aigues en vente.

Tout trompa le général, car les dehors de Gaubertin n’étaient pas de nature à l’avertir ni à l’effrayer. Par tradition, le régisseur affecta toujours, non pas la pauvreté, mais la gêne. Il tenait cette règle de conduite de son prédécesseur. Aussi, depuis douze ans, mettait-il à tout propos en avant ses trois enfants, sa femme et les énormes dépenses causées par sa nombreuse famille. Mademoiselle Laguerre à qui Gaubertin se disait trop pauvre pour payer l’éducation de son fils à Paris, en avait fait tous les frais, elle donnait cent louis par an à son cher filleul, car elle était la marraine de Claude Gaubertin.

Le lendemain Gaubertin vint, accompagné d’un garde nommé Courtecuisse, demander très-fièrement au général son quitus, en lui montrant les décharges données par feu mademoiselle en termes flatteurs, et il le pria très-ironiquement de chercher où se trouvaient