Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/332

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un tort ; donnez-moi des dommages-intérêts. " C’est assez juste, mais ce n’est pas une raison pour gagner un procès.

— Il faut savoir accepter un procès et y perdre de l’argent pour n’en plus avoir à l’avenir !… dit le général.

— Vous rendrez Gaubertin bien heureux, répondit Sibilet.

— Comment ?

— Plaider contre les Gravelot, c’est vous battre corps à corps avec Gaubertin qui les représente, reprit Sibilet ; aussi ne désire-t-il rien tant que ce procès. Il l’a dit, il se flatte de vous mener jusqu’en Cour de cassation.

— Ah ! le coquin !… le…

— Si vous voulez exploiter, dit Sibilet en retournant le poignard dans la plaie, vous serez dans les mains des ouvriers qui vous demanderont le prix-bourgeois, au lieu du prix-marchand, et qui vous couleront du plomb, c’est-à-dire qui vous mettront, comme ce brave Mariotte, dans la situation de vendre à perte. Si vous cherchez un bail, vous ne trouverez pas de preneurs, car ne vous attendez pas à ce qu’on risque pour un particulier ce que le père Mariotte a risqué pour la Couronne et pour l’État. Et, encore, que le bonhomme aille donc parler de ses pertes à l’Administration ? L’Administration est un monsieur qui ressemble à votre serviteur quand il était au Cadastre, un digne homme en redingote râpée qui lit le journal devant une table. Que le traitement soit de douze cents ou de douze mille francs, on n’en est pas plus tendre. Parlez donc de réductions, d’adoucissements au Fisc représenté par ce monsieur ?… il vous répond turlututu, en taillant sa plume. Vous êtes hors la loi, monsieur le comte.

— Que faire ? s’écria le général dont le sang bouillonnait et qui se mit à marcher à grands pas devant le banc.

— Monsieur le comte, répondit Sibilet brutalement, ce que je vais vous dire n’est pas dans mes intérêts, il faut vendre les Aigues et quitter le pays !

En entendant cette phrase, le général fit un bond sur lui-même, comme si quelque balle l’eût atteint, et il regarda Sibilet d’un air diplomatique.

— Un général de la garde impériale lâcher pied devant de pareils drôles, et quand madame la comtesse se plaît aux Aigues !… dit-il enfin, j’irais plutôt souffleter Gaubertin sur la place de La-