Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/334

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dois avoir l’air de vous voler ! Or, quand toute notre fortune et notre consolation sont dans notre probité, nous ne pouvons guère, nous autres pauvres diables, accepter l’apparence de la friponnerie. On nous juge toujours sur les apparences. Gaubertin a, dans le temps, sauvé la vie à mademoiselle Laguerre, et il a eu l’air de la voler ; aussi l’a-t-elle récompensé de son dévoûment en le couchant sur son testament pour un solitaire de dix mille francs que madame Gaubertin porte en ferronnière.

Le général jeta sur Sibilet un second regard tout aussi diplomatique que le premier, mais le régisseur ne paraissait pas atteint par cette défiance enveloppée de bonhomie et de sourires.

— Mon improbité réjouirait tant monsieur Gaubertin, que je m’en ferais un protecteur, reprit Sibilet. Aussi m’écoutera-t-il de ses deux oreilles, quand je lui soumettrai cette proposition : " Je peux arracher à monsieur le comte vingt mille francs pour messieurs Gravelot, à la condition qu’ils les partageront avec moi. " Si nos adversaires consentent, je vous apporte dix mille francs, vous n’en perdez que dix mille, vous sauvez les apparences, et le procès est éteint.

— Tu es un brave homme, Sibilet, dit le général en lui prenant la main et la lui serrant. Si tu peux arranger l’avenir aussi bien que le présent, je te tiens pour la perle des régisseurs !…

— Quant à l’avenir, reprit le régisseur, vous ne mourrez pas de faim pour ne pas faire de coupes pendant deux ou trois ans. Commencez par bien garder vos bois. D’ici là, certes, il aura coulé de l’eau dans l’Avonne. Gaubertin peut mourir, il peut se trouver assez riche pour se retirer ; enfin, vous avez le temps de lui susciter un concurrent, le gâteau est assez beau pour être partagé, vous chercherez un autre Gaubertin à lui opposer.

— Sibilet, dit le vieux soldat émerveillé de ces diverses solutions, je te donne mille écus si tu termines ainsi ; puis, pour le surplus, nous y réfléchirons.

— Monsieur le comte, dit Sibilet, avant tout, gardez vos bois. Allez voir dans quel état les paysans les ont mis pendant vos deux ans d’absence… Que pouvais-je faire ? je suis régisseur, je ne suis pas garde. Pour garder les Aigues, il vous faut un garde-général à cheval et trois gardes particuliers…

— Nous nous défendrons. C’est la guerre, eh ! bien, nous la ferons ! Ça ne m’épouvante pas, dit Montcornet en se frottant les mains.