Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/34

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melle. Les forçats baptiseront, attendez-vous-y, les billets de cent ou de deux cents francs de quelque nom bizarre.

En 1790, Guillotin trouve, dans l’intérêt de l’humanité, la mécanique expéditive qui résout tous les problèmes soulevés par le supplice de la peine de mort. Aussitôt les forçats, les ex-galériens, examinent cette mécanique placée sur les confins monarchiques de l’ancien système, et sur les frontières de la justice nouvelle, ils l’appellent tout à coup l’Abbaye de Monte-à-Regret ! Ils étudient l’angle décrit par le couperet d’acier, et trouvent pour en peindre l’action, le verbe faucher ! Quand on songe que le bagne se nomme le pré, vraiment ceux qui s’occupent de linguistique doivent admirer la création de ces affreux vocables, eût dit Charles Nodier.

Reconnaissons d’ailleurs la haute antiquité de l’argot ! il contient un dixième de mots de la langue romane, un autre dixième de la vieille langue gauloise de Rabelais. Effondrer (enfoncer), otolondrer (ennuyer), cambrioler (tout ce qui se fait dans une chambre), aubert (argent), gironde (belle, le nom d’un fleuve en langue d’Oc), fouillousse (poche) appartiennent à la langue du quatorzième et du quinzième siècles. L’affe, pour la vie, est de la plus haute antiquité. Troubler l’affe a fait les affres, d’où vient le mot affreux, dont la traduction est ce qui trouble la vie, etc.

Cent mots au moins de l’argot appartiennent à la langue de Panurge, qui, dans l’œuvre rabelaisienne, symbolise le peuple, car ce nom est composé de deux mots grecs qui veulent dire : Celui qui fait tout. La science change la face de la civilisation par le chemin de fer, l’argot l’a déjà nommé le roulant vif.

Le nom de la tête, quand elle est encore sur leurs épaules, la sorbonne, indique la source antique de cette langue dont il est question dans les romanciers les plus anciens, comme Cervantes, comme les nouvelliers italiens et l’Arétin. De tout temps, en effet, la fille, héroïne de tant de vieux romans, fut la protectrice, la compagne, la consolation du grec, du voleur, du tire-laine, du filou, de l’escroc.

La prostitution et le vol sont deux protestations vivantes, mâle et femelle, de l’état naturel contre l’état social. Aussi les philosophes, les novateurs actuels, les humanitaires, qui ont pour queue les communistes et les fouriéristes, arrivent-ils, sans s’en douter, à ces deux conclusions : la prostitution et le vol. Le voleur ne met