Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/346

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Quatre heures après, la contrée tout entière babillait à sa manière en racontant cette scène. Le général avait, disait-on, assommé Courtecuisse, il lui refusait son dû, il lui devait deux mille francs.

De nouveau, les propos les plus singuliers coururent sur le compte du bourgeois des Aigues. On le disait fou. Le lendemain, Brunet qui avait instrumenté pour le compte du général, lui apportait pour le compte de Courtecuisse une assignation devant le tribunal de paix. Ce lion devait être piqué par mille mouches, son supplice ne faisait que commencer.

L’installation d’un garde ne va pas sans quelques formalités, il doit prêter serment au tribunal de première instance, il se passa donc quelques jours avant que les trois gardes fussent revêtus de leur caractère officiel. Quoique le général eût écrit à Michaud de venir avec sa femme sans attendre que le pavillon de la porte d’Avonne fût arrangé pour le recevoir, le futur garde-général fut retenu par les soins de son mariage, par les parents de sa femme venus à Paris, et il ne put arriver qu’après une quinzaine de jours. Durant cette quinzaine prise par l’accomplissement des formalités auxquelles on se prêta d’assez mauvaise grâce à La-Ville-aux-Fayes, la forêt des Aigues fut dévastée par les maraudeurs qui profitèrent du temps pendant lequel elle ne fut gardée par personne.

Ce fut un grand événement dans la vallée, depuis Couches jusqu’à La-Ville-aux-Fayes que l’apparition de trois gardes habillés en drap vert, la couleur de l’Empereur, magnifiquement tenus, et dont les figures annonçaient un caractère solide, tous bien en jambes, agiles, capables de passer les nuits dans les bois.

Dans tout le canton, Groison fut le seul qui fêta les vétérans. Enchanté d’un tel renfort, il lâcha quelques paroles menaçantes contre les voleurs qui, dans peu de temps, devaient se trouver serrés de près et mis dans l’impossibilité de nuire. Ainsi, la proclamation d’usage ne manqua pas à cette guerre, vive et sourde à la fois.

Sibilet signala la gendarmerie de Soulanges au général, et surtout le brigadier Soudry, comme entièrement et sournoisement hostile aux Aigues, il lui fit sentir de quelle utilité lui serait une brigade animée d’un bon esprit.

— Avec un bon brigadier et des gens dévoués à vos intérêts, vous tiendrez le pays !… dit-il.