Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/400

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

le faisait ressembler à un malade dévoré par un poison ou par une affection chronique.

— Qu’avez-vous donc, monsieur Courtecuisse ? vous a-t-on coupé la langue ? demanda Tonsard en trouvant le bonhomme silencieux après lui avoir conté la bataille qui venait d’avoir lieu.

— Ce serait dommage, reprit la Tonsard, il n’a pas à se plaindre de la sage-femme qui lui a tranché le filet, elle a fait là une belle opération.

— Ça gèle la grelote que de chercher des idées pour finir avec monsieur Rigou, répondit mélancoliquement ce vieillard vieilli.

— Bah ! dit la vieille Tonsard, vous avez une jolie fille, elle a dix-sept ans ; si elle est sage, vous vous arrangerez facilement avec ce vieux fagoteur-là…

— Nous l’avons envoyée à Auxerre chez madame Mariotte la mère, il y a deux ans, pour la préserver de tout malheur, dit-il, et j’aime mieux crever que de…

— Est-il bête, dit Tonsard, voyez mes filles ? sont-elles mortes ? Celui qui ne dirait pas qu’elles sont sages comme des images aurait à répondre à mon fusil !

— Ce serait dur d’en venir là ! s’écria Courtecuisse en hochant la tête, j’aimerais mieux qu’on me payât pour tirer sur un de ces arminacs !

— Ah ! il vaut mieux sauver son père que de laisser moisir sa vertu ! répliqua le cabaretier.

Tonsard sentit un coup sec que le père Niseron lui frappa sur l’épaule.

— Ce n’est pas bien, ce que tu dis là ?… fit le vieillard. Un père est le gardien de l’honneur dans sa famille. Si quelqu’un touchait à Geneviève, il tomberait sous ma hache de 1793, et je me rendrais en prison. C’est en vous conduisant ainsi que vous faites mépriser le peuple, et qu’on nous accuse de ne pas être dignes de la liberté ! Le peuple doit donner aux riches l’exemple des vertus civiques et de l’honneur. Vous vous vendez à Rigou pour de l’or, tous tant que vous êtes ! Quand vous ne lui livrez pas vos filles, vous lui livrez vos vertus ! C’est mal !

— Voyez donc où en est Courtebotte ? dit Tonsard.

— Vois où j’en suis ? répondit le père Niseron, je dors tranquille, il n’y a pas d’épines dans mon oreiller.

— Laisse-le dire, Tonsard, cria la femme dans l’oreille de son