Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/401

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mari, tu sais bien que c’est son idée à ce pauvre cher homme…

Bonnébault et Marie, Catherine et son frère arrivèrent en ce moment dans une exaspération commencée par l’insuccès de Nicolas et que la confidence du projet conçu par Michaud avait portée à son comble. Aussi lorsque Nicolas entra dans le cabaret de son père, lâcha-t-il une effrayante apostrophe contre le ménage Michaud et les Aigues.

— Voilà la moisson, eh bien ! je ne partirai pas sans avoir allumé ma pipe à leurs meules ! s’écria-t-il en frappant un grand coup de poing sur la table devant laquelle il s’assit.

— Faut pas japper comme ça devant le monde, lui dit Godain en lui montrant le père Niseron.

— S’il parlait, je lui tordrais le cou, comme à un poulet, répondit Catherine, il a fait son temps, ce vieil halleboteur de mauvaises raisons ! On le dit vertueux, c’est son tempérament, voilà tout.

Etrange et curieux spectacle que celui de toutes les têtes levées, de ces gens groupés dans ce taudis à la porte duquel se tenait en sentinelle la vieille Tonsard, pour assurer aux buveurs le secret sur leurs paroles !

De toutes ces figures, Godain, le poursuivant de Catherine, offrait peut-être la plus effrayante, quoique la moins accentuée. Godain, l’avare sans or, le plus cruel de tous les avares ; car avant celui qui couve son argent, ne faut-il pas mettre celui qui en cherche, l’un regarde en dedans de lui-même, l’autre regarde en avant avec une fixité terrible ; ce Godain vous eût représenté le type des plus nombreuses physionomies paysannes. Ce manouvrier, petit homme réformé comme n’ayant pas la taille exigée pour le service militaire, naturellement sec, encore desséché par le travail et par la stupide sobriété sous laquelle expirent dans la campagne les travailleurs acharnés, comme Courtecuisse, montrait une figure, grosse comme le poing, qui tirait son jour de deux yeux jaunes tigrés de filets verts à points bruns, par lesquels la soif du bien à tout prix s’abreuvait de concupiscence, mais sans chaleur, car le désir d’abord bouillant s’était figé comme une lave. Aussi sa peau se collait-elle aux tempes brunes comme celles d’une momie. Sa barbe grêle piquait à travers ses rides comme le chaume dans les sillons. Godain ne suait jamais, il résorbait sa substance. Ses mains velues et crochues, nerveuses, infatigables, semblaient être en vieux bois. Quoique âgé de vingt-