Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/409

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— Je dis que vous jouez le jeu des Bourgeois, répliqua Jean-Louis. Effrayez les gens des Aigues pour maintenir vos droits, bien ! mais les pousser hors du pays et faire vendre les Aigues, comme le veulent les bourgeois de la vallée, c’est contre nos intérêts. Si vous aidez à partager les grandes terres, où donc qu’on prendra des biens à vendre à la prochaine révolution ?… Vous aurez alors les terres pour rien, comme les a eues Rigou ; tandis que si vous les mettez dans la gueule des bourgeois, les bourgeois vous les recracheront bien amaigries et renchéries, vous travaillerez pour eux, comme tous ceux qui travaillent pour Rigou. Voyez Courtecuisse…

Cette allocution était d’une politique trop profonde pour être saisie par des gens ivres qui tous, excepté Courtecuisse, amassaient de l’argent pour avoir leur part dans le gâteau des Aigues. Aussi, laissa-t-on parler Jean-Louis en continuant, comme à la chambre des députés, les conversations particulières.

— Eh ! bien, allez, vous serez des machines à Rigou ! s’écria Fourchon qui seul avait compris son petit-fils.

En ce moment, Langlumé, le meunier des Aigues, vint à passer, la belle Tonsard le héla.

— C’est-y vrai, dit-elle, monsieur l’adjoint, qu’on défendra le glanage ?

Langlumé, petit homme réjoui, à face blanche de farine, habillé de drap gris blanc, monta les marches, et aussitôt les paysans prirent leurs mines sérieuses.

— Dam ! mes enfants, oui et non, les nécessiteux glaneront ; mais les mesures qu’on prendra vous seront bien profitables…

— Et comment ? dit Godain.

— Mais si l’on empêche tous les malheureux de fondre ici répondit le meunier en clignant les yeux à la façon normande vous ne serez pas empêchés vous autres d’aller ailleurs, à moins que tous les maires ne fassent comme celui de Blangy.

— Ainsi, c’est vrai ?… dit Tonsard d’un air menaçant.

— Moi, dit Bonnébault en mettant son bonnet de police sur l’oreille et faisant siffler sa baguette de coudrier, je retourne à Couches y prévenir les amis…

Et le Lovelace de la vallée s’en alla, tout en sifflant l’air de cette chanson soldatesque :

Toi qui connais les hussards de la garde,

Connais-tu pas l’trombone du régiment ?