Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/424

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— Tu as peur, dit l’usurier tout doucement en jetant sur Sibilet un regard que le soupçon rendit moins terne qu’à l’ordinaire et qui fut terrible. Tu calcules s’il ne vaut pas mieux te mettre du côté de monsieur le comte de Montcornet ?

— Je ne vois pas trop où je prendrai, quand vous aurez dépecé les Aigues, quatre mille francs à placer tous les ans, honnêtement, comme je le fais depuis cinq ans, répondit crûment Sibilet. Monsieur Gaubertin m’a, dans les temps, débité les plus belles promesses ; mais la crise approche, on va se battre certainement, promettre et tenir sont deux après la victoire.

— Je lui parlerai, répondit Rigou tranquillement. En attendant voici, moi, ce que je répondrais, si cela me regardait :

" Depuis cinq ans, tu portes à monsieur Rigou quatre mille francs par an, et ce brave homme t’en donne sept et demi pour cent, ce qui te fait en ce moment un compte de vingt-sept mille francs, à cause de l’accumulation des intérêts ; mais comme il existe un acte sous signature privée, double entre toi et Rigou, le régisseur des Aigues serait renvoyé le jour où l’abbé Brossette apporterait cet acte sous les yeux du Tapissier, surtout après une lettre anonyme qui l’instruirait de ton double rôle. Tu ferais donc mieux de chasser avec nous, sans demander tes os par avance, d’autant plus que monsieur Rigou n’étant pas tenu de te donner légalement sept et demi pour cent et les intérêts des intérêts, te ferait des offres réelles de tes vingt mille francs ; et, en attendant que tu puisses les palper, ton procès allongé par la chicane serait jugé par le tribunal de La-Ville-aux-Fayes. En te conduisant sagement quand monsieur Rigou sera propriétaire de ton pavillon aux Aigues, tu pourras continuer avec trente mille francs environ et trente mille autres francs que pourrait te confier Rigou, le commerce d’argent que fait Rigou, lequel sera d’autant plus avantageux que les paysans se jetteront sur les terres des Aigues divisées en petits lots, comme la pauvreté sur le monde. " Voilà ce que pourrait te dire monsieur Gaubertin ; mais moi, je n’ai rien à te répondre, cela ne me regarde pas… Gaubertin et moi, nous avons à nous plaindre de cet enfant du peuple qui bat son père, et nous poursuivons notre idée. Si l’ami Gaubertin a besoin de toi, moi, je n’ai besoin de personne, car tout le monde est à ma dévotion. Quant au garde-des-sceaux, on en change assez souvent ; tandis que, nous autres, nous sommes toujours là.